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AccueilNumérosVol. 58 - n° 3Comptes rendusGuide de l’enquête globale en sci...

Comptes rendus

Guide de l’enquête globale en sciences sociales, J. Siméant (Ed.)

CNRS Éditions, Paris (2015). 406 p.
Loïs Bastide
p. 331-333
Référence(s) :

Johanna Siméant (dir.), Guide de l’enquête globale en sciences sociales, CNRS Éditions, Paris, 2015, 406 p.

Texte intégral

1Ce livre, dirigé par Johanna Siméant, se présente comme un ouvrage de méthode destiné à fournir des outils et des concepts pour aborder les nouveaux terrains de l’international, en contexte de globalisation. L’enjeu est de proposer une approche qui permette de traiter des différentes échelles du social — ici du local à l’international — à partir de cadres d’analyses commensurables, en réaffirmant du coup l’unité des sciences sociales. Dans ce qui peut se lire « comme un livre d’école », la première partie propose des chapitres de recherche et développe des appareils d’analyse ancrés dans la pratiques de terrains internationaux ; une seconde partie est consacrée à la présentation d’une série de textes de référence classés par thèmes (théories et constructions d’objets ; lieux ; enquêtes ; pistes), manière de proposer un corpus de référence pour ce type de pratique de recherche.

2Les auteurs partagent la volonté de donner consistance aux phénomènes de globalisation, en montrant qu’ils sont produits, portés et négociés par des groupes sociaux identifiables, auprès desquels il convient par conséquent d’enquêter. Le livre propose ainsi d’investir à partir d’entrées plus ethnographiques des objets classiques de la science politique et des relations internationales. Cette intention commune permet par exemple de re-politiser les processus de globalisation, trop souvent naturalisés, en portant l’analyse sur les politiques de mondialisation qui les sous-tendent, comme dans le chapitre 3 signé par Merryl David-Ismayil, Leonora Dugonjic et Romain Lecler. Ces politiques sont par ailleurs portées par des « savoirs de réforme » qui circulent à l’échelle globale et participent à aligner les pratiques expertes, à l’échelle internationale ; c’est ce que montrent Yves Dezalay et Olivier Nay au chapitre 9. Cette approche commune conduit aussi à identifier les lieux concrets où se produit l’internationalisation des pratiques, tels que les « foires, salons et marchés internationaux » étudiés par Marie-France Garcia-Parpet, Romain Lecler et Gustavo Sor­á dans le chapitre 5.

3L’appel à identifier des lieux et des pratiques susceptibles de soutenir une approche empirique des phénomènes de globalisation n’est pas nouveau (voir, parmi de nombreux exemples : Sassen 1998 ; Tsing 2005). Ce qui l’est ici davantage tient au cadre conceptuel relativement homogène mis en œuvre dans les contributions. Le renvoi à une école est en cela important. L’appareil théorique mobilisé dans la quasi-totalité des contributions met en jeu les concepts bourdieusiens de capital (capital symbolique ou, dans le chapitre 2 d’Anne-Catherine Wagner et Bertrand Réau, « capital international »), de champ et/ou de domination. Le chapitre 8 écrit par Nehara Feldman et Sébastien Roux fait figure d’exception : il propose de partir des expériences biographiques en situation pour y repérer, par un travail ethnographique, les traces de dynamiques globales. Dans l’ensemble, les chapitres s’intéressent essentiellement à des élites politiques, expertes, professionnelles ou académiques et se penchent en particulier sur la circulation des biens culturels et symboliques (chapitres 4, 5 et 6) et des savoirs d’État (chapitre 9), ou sur la définition de concepts opératoires, en condition de globalisation (chapitres 1, 2 et 10).

4Le déplacement de l’appareillage conceptuel bourdieusien sur le terrain de la mondialisation est intéressant. Il tranche en effet avec la majorité des thèses en cours sur le thème de la globalisation qui soulignent plus volontiers le changement d’époque, la rupture qualitative liée au désenclavement des processus sociaux, économiques, politiques ou culturels ainsi qu’à la croissance de la vitesse et de l’intensité des échanges dans la période récente. Proposer une sociologie de la reproduction des élites et des rapports de domination, dans le contexte de la mondialisation, et décrire leur projection à l’échelle internationale, est en cela une innovation bienvenue.

5Il est étonnant cependant que ce déplacement des théories bourdieusiennes hors du cadre national les affecte peu en réalité. En dehors d’ajustements qui n’altèrent guère l’économie conceptuelle des propositions de Pierre Bourdieu — pluralisation et internationalisation des champs, repérage de nouvelles formes de capitaux, identification des processus d’accumulation, d’investissement et de conversion afférents —, l’internationalisation des structures de pouvoir et des processus de domination ne semble pas devoir conduire à une révision paradigmatique significative.

6Par ailleurs, l’approche par les champs conduit ici à une rhétorique de l’intérêt qui traverse la quasi-totalité des contributions et campe un individu stratège et maximisateur. P. Bourdieu évitait cet écueil en ayant recours aux concepts d’illusio et d’habitus, qui tempèrent les capacités de l’individu à se représenter ses propres intérêts en montrant qu’il les poursuit, en quelque sorte et en partie, malgré lui, mû par la tendance des structures sociales à la reproduction : c’est pourquoi il s’incarne dans la figure de l’agent. Si ce réductionnisme nous paraît problématique, formaliser les relations sociales comme champ permet néanmoins aux auteurs de mettre en évidence des rapports de pouvoir, de domination et de concurrence émergents dans le contexte de la globalisation actuelle.

7Les contributions s’inscrivent par ailleurs dans une conception de la mondialisation fondée sur la théorie du « système-monde » d’Immanuel Wallerstein, qui postule la hiérarchisation contemporaine des espaces entre centres et périphéries, dans un cadre très marqué par le référent étatique. La théorie des champs renforce ce stato-centrisme en inscrivant les rapports sociaux de pouvoir dans une relation étroite à l’État, puisque la sociogenèse des champs est intimement liée à la structuration de ses institutions. Ce cadre heuristique éclaire ce faisant des rapports de pouvoir largement structurés par les États.

8L’accent mis sur les États et sur les élites conduit à notre sens à développer une sociologie de l’international plus qu’une sociologie de la globalisation. Si le champ, comme concept, met en valeur des relations de pouvoir et de domination centrées sur l’État, d’autres représentations des relations sociales sont disponibles pour rendre compte des recompositions contemporaines des sociétés : mondes sociaux (Becker, 2010 [1982] ; Strauss 1992), assemblages (Sassen, 2006 ; Ong et Collier, 2005), scapes (Appadurai, 2005), acteurs-réseaux (Latour 2007) ou branchements (Amselle, 2001) en sont des exemples parmi d’autres. Ces approches éclairent des aspects différents de la globalisation, soit qu’elles en explorent d’autres dimensions, soit qu’elles abordent les rapports de pouvoir et de domination à partir de cadres conceptuels différents. On s’étonne ainsi de ne pas voir mentionnées, fut-ce pour les critiquer, les propositions de Saskia Sassen invitant à observer les recompositions relationnelles de l’autorité, du droit et du territoire pour faire émerger une géographie politique où des pouvoirs concurrents aux États se constituent, sans nier pour autant le rôle central de ces derniers dans la structuration des processus de globalisation.

9Si l’ouvrage se présente comme un livre d’école, reste alors qu’on comprend mal que la discussion soit si peu engagée avec d’autres courants d’étude. Dans son souci d’avancer une approche singulière, le livre laisse en effet de côté une part substantielle des travaux disponibles sur la question de la globalisation/mondialisation ou du transnationalisme. Il fait ainsi l’économie de discussions et d’un travail de positionnement qu’on aurait pu attendre d’un ouvrage présenté comme un guide de l’enquête. En le refermant, l’impression générale est d’avoir affaire à une actualisation bienvenue de la sociologie des champs à l’ère de la globalisation ; moins à un guide de l’enquête globale en sciences sociales.

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Bibliographie

Amselle, J-L., 2001. Branchements : anthropologie de l’universalité des cultures. Flammarion, Paris.

Appadurai, A., 2005. Après le colonialisme : les conséquences culturelles de la globalisation. Payot, Paris.

Becker, H. S., 2010 [1982]. Les mondes de l’art. Flammarion, Paris.

Latour, B., 2007. Changer de société, refaire de la sociologie. La Découverte, Paris.

Ong, A., Collier, S. J., 2005. Global Assemblages: Technology, Politics, and Ethics as Anthropological Problems. Blackwell, Malden.

Sassen, S., 1998. Globalization and its Discontents. New Press, New York.

Sassen, S., 2006. Territory, Authority, Rights : From Medieval to Global Assemblages. Princeton University Press, Princeton.

Strauss, A., 1992. La trame de la négociation. L’Harmattan, Paris.

Tsing, A. L. 2005. Friction: An Ethnography of Global Connection. Princeton University Press, Princeton.

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Pour citer cet article

Référence papier

Loïs Bastide, « Guide de l’enquête globale en sciences sociales, J. Siméant (Ed.) »Sociologie du travail, Vol. 58 - n° 3 | 2016, 331-333.

Référence électronique

Loïs Bastide, « Guide de l’enquête globale en sciences sociales, J. Siméant (Ed.) »Sociologie du travail [En ligne], Vol. 58 - n° 3 | Juillet-Septembre 2016, mis en ligne le 02 juin 2016, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sdt/983 ; DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.983

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Auteur

Loïs Bastide

Université de Genève, 40, Boulevard du Pont d’Arve, 1211 Genève, Suisse
lois.bastide[at]unige.ch

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